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Chronique 2 - Vous avez dit "débat" ? Les cinq dimensions du dialogue

Le grand débat sonne le grand début d’une nouvelle ère démocratique et managériale : le dialogue, jusqu’à présent impensable, va devenir indispensable dans l’espace public, dans les relations sociales, et dans la vie des entreprises. Il devient impératif de repérer les conditions opérationnelles d’un Vrai dialogue, objectif, exhaustif, constructif et efficace.

Le soulèvement des gilets jaunes est la marque d’une faille dans le consentement du peuple à sa représentation. L’absence de consensus au sein du mouvement, voire la présence de propositions en apparence peu compatibles entre elles, traduit la difficulté à réunir les conditions du réussir ensemble. Sa violence physique et la force indispensable à son endiguement révèlent une volonté entamée de vivre ensemble. C’est pour tenir compte de cette remise en question du pacte social, républicain et démocratique que le gouvernement a décidé de revalider sa représentativité en lançant un grand débat. Cette initiative innovante pour l’Etat providence Français de donner la parole au Citoyen est une tentative de répondre, enfin, au grand manque d’implication du citoyen dans la cité.

Or, le principe même du débat repose sur la conviction que si chacun détient une part de vérité, personne ne la détient toute et qu’il faut donc la chercher ensemble. Une telle ambition suppose un mécanisme d’articulation des interactions de haute précision. Si l’on ne peut qu’approuver la vocation réconciliatrice de la décision, qu’en est-il des chances de succès de la démarche ? Pour évaluer la qualité de la méthode, il convient d’analyser la note de cadrage de l’Elysée à travers les cinq dimensions interconnectées du vrai dialogue.

  • Le thème : de quoi parle-t-on ? Pour le Maréchal Foch, la question clé était toujours : "De quoi s'agit‑il ?". Bien poser le problème est une phase préalable à sa résolution. Le dialogue se tient donc toujours sur un thème spécifique. 35 questions ! Ce n’est pas 1 grand débat, mais 35 grands débats qu’il eut fallu ! Mais, qui trop embrasse, mal étreint : il n’est pas possible d’adresser simultanément 35 sujets, sauf à sauter du coq à l’âne et rester au stade du café du commerce. Par ailleurs, la large ouverture reste toutefois excluante de sujets dont beaucoup les posent pourtant sur la table avec vigueur. Un seul sujet aurait dû être proposé, qui ouvre le débat sur tous les enjeux sans exclusive.

  • Le moment : quand parle-t-on ? Le dialogue se tient en amont de la décision. Une fois qu’une décision est actée, les décideurs doivent alors l’expliquer, pas avant. Si la décision a déjà été prise ou est sur le point d’être prise au moment où s’organise le dialogue, celui-ci devient alors de la manipulation. Mieux vaudrait alors s’en tenir à des explications en communiquant sans prétendre au dialogue. Deux limites apparaissent ainsi dans le cas du Grand débat national. Emmanuel Macron a indiqué qu’il ne reviendrait pas sur son programme qui n’a pourtant jamais fait l’objet de débat, alors même qu’il vient de revenir en arrière sur certains points chauds : quel est le critère de choix des décisions contestées qui peuvent ou non être modifiées. De plus, pourquoi limiter te temps d’expression à deux mois et demie ? En une si courte période pour de si nombreux thèmes, la soif de prise de parole sera loin d’être étanchée, les sujets seront encore loin d’être épuisés et les consensus seront bien loin d’être partagés par la nation.

  • Les interlocuteurs : avec qui parle-t-on ? Un vrai dialogue est ouvert à toutes les parties prenantes concernées directement ou indirectement par l’une quelconque des options envisagées par l’ensemble des acteurs. Pour qu’un dialogue efficace s’instaure, chacun doit à la fois pouvoir s'exprimer équitablement et devoir écouter avec bienveillance, mais sans complaisance, toutes les sources d’information, d’analyse et de propositions. Tirer des citoyens au sort permet, certes, de s’assurer de la diversité des participants pour bâtir un raisonnement objectif, mais ne permet en revanche pas de donner la parole à ceux qui la demandent : si des diagnostics et des propositions optimisés peuvent émerger, leur appropriation par le plus grand nombre ne le sera pas. L’absence d’implication formelle de tous les corps intermédiaires nationaux et locaux dans le relais des appels à contributions et des invitations est donc à regretter.

  • Le lieu : où parle-t-on ? Un dialogue ouvert se tient sur un territoire dont la localisation, les moyens logistiques et l’image qu’il véhicule sont à équidistance de toutes les parties prenantes invitées à participer et à se réunir. Le lieu doit être neutre non seulement en réalité, mais aussi dans l’imaginaire des participants. Si la multiplication des lieux de débat est positive d’un point de vue statistique, elle ne construit cependant la neutralité d’aucune salle spécifique. La mairie, la salle des fêtes et le gymnase auront toujours la couleur politique des élus locaux qui cherchent leur réélection et donc la récupération, la préfecture et le service public seront toujours suspects d’allégeance à leur hiérarchie  et donc de promouvoir l’agenda gouvernemental. Or, dans un lieu non légitime, le plus grand maître de la dialectique collective plonge lui aussi dans l’illégitimité : les absentéistes s’en détournent dans le calme, les opposants le contournent en réfléchissant de leur côté, les violents l’encerclent parfois au point de l’interdire.

  • La méthode : comment parle-t-on ? Dans un vrai dialogue, le processus se décompose en cinq grandes phases : les dirigeants sollicitent les avis et propositions de tous, les informations collectées sont ordonnées, elles sont analysées par des personnes qui forment un groupe légitime aux yeux de tous, l’analyse collective est diffusée à tous, et enfin, si plus  personne n’a rien à ajouter, les décideurs décident. Malheureusement, le cadrage élyséen ne contient que trois phases : la consultation, la réunion semi-publique, la décision. De plus, l’articulation entre la consultation et la réunion n’est pas précisée : comment et par qui les informations et propositions recueillies en amont seront-elles traitées, comment seront-elles restituées et utilisées lors des réunions ? Quant au déroulement des réunions, il reste aussi dans le flou : qui distribuera la parole et selon quels critères, qui reformulera sans complaisance mais avec bienveillance, qui synthétisera les échanges ? Et quid des élus et des experts : toutes les expertises nécessaires seront-elles présentes, les élus présents se réserveront ils bien dans cette phase de débat citoyen pour la phase ultérieure de débat parlementaire ? Des incertitudes persistent aussi dans l’articulation entre les réunions publiques et les décisions politiques qui suivront : à l’issue des réunions, comment et par qui les compte rendus seront-ils rédigés, qui en réalisera une analyse transversale, qui sera légitime pour démontrer que le tour de la question aura bien été réalisé de façon exhaustive, objective et constructive ?

Tant d’incertitudes dans le cadrage d’une démarche si stratégique font naître une crainte, voire une …certitude : les conditions d’un vrai dialogue producteur d’un diagnostic approfondi et d’un projet partagé ne sont pour l’instant pas réunies. Or, sans maîtrise d’un processus inclusif de la diversité des faits, intérêts particuliers et opinions, les raisonnements souvent de qualité pris isolément ne se conjugueront pas. Sans sérénité, les échanges pourraient bien alors pencher, sinon dans l’invective, tout au moins dans le grand empilement de monologues inaudibles, intraitables et in fine inutiles.

Les multiples lacunes dans la méthode peuvent en définitive nous faire redouter le non-événement, le médiocre, voire le pire : l’impossibilité pour la France de se saisir de sa réalité pour inventer le chemin de son redressement collectif au profit de tous. Resteront alors deux voies : soit enfin déployer une méthode de vrai dialogue qui autorisera l’entrée dans une nouvelle ère démocratique et mettra fin aux nombreux non-dits pour produire les résultats indispensables ; soit, à l’inverse, passer des gilets jaunes incontrôlables aux gilets rouges, noirs ou bruns qui imposeront leur ordre par la force. En définitive, le grand débat n’est que le grand début de ce choix de société : démocratie citoyenne ou dictature jacobine rénovée.

NOTES

(*) Afin d'éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l'Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livre les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s'appuyant sur des cas pratiques et sur l'actualité.

L'Odissée, l'Organisation du Dialogue et de l'Intelligence Sociale dans la Société Et l'Entreprise, est un organisme bicéphale composé d'un centre de conseil et recherche (l'Odis) et d'une ONG reconnue d'Intérêt général (Les Amis de l'Odissée) dont l'objet consiste à "Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde".

Depuis 1990, l'Odissée conduit l'étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l'Entreprise et la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l'a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d'auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l'intérieur des entreprises.

 

 

Article La Tribune "Ne nous fâchons pas" 17/01/2019

 

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