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Chronique 16 - Modèle français, le Grand Carrefour : du Grand Débat au Grand Rebond ? Les crises économiques, financières ou sociales sont le plus souvent des crises du respect des personnes, des faits et des idées. 

La victoire des intérêts particuliers ou celle de l'intérêt général découle de l'attention portée par chacun à tous et par tous à chacun. Dans notre société en émiettement, la question devient : comment construire une société à la fois plus juste et plus performante ?

La culture de l'État idéologique et du chef surpuissant (Jupiteret autre Dieu...) est l'œuvre des Jacobins dont le triomphe repose sur la sacralisation du Roi.

Le gouvernement tout-puissant, le chef de l'Etat domine l'Etat, lequel domine la société

  • La double concentration des pouvoirs caractérise le système politique français :
    •  Le pouvoir exécutif maîtrise les deux autres pouvoirs, le législatif et le judiciaire. Dans le système politique français, le gouvernement a toujours le premier et le dernier mot.
    •  Le chef de l'Etat est sacré depuis Pépin le Bref, soit depuis 1260 ans ! Dès lors, les Français ne peuvent contester la personne d'ordre divin, ni ses discours et affirmations, ni ses actions et projets. Aujourd'hui encore, le Président de la République cumule le juste-auctoritas-spirituel et l'éxecutif-potestas-temporel, et peut, à lui seul, prendre toutes les décisions.
  • Le centralisme parisien n'a pas d'équivalent dans le monde occidental :
    •  Paris concentre les lieux de décisions politiques, économiques, sociales, associatives et culturelles.
    •  Les notions de subsidiarité, de décentralisation et de régionalisation n'ont aucune raison d'être dans des nations où la responsabilité est déjà exercée par les régions (Länder allemands ou communautés autonomes espagnoles), les villes (communes anglaises ou italiennes), ou même les citoyens (en Suisse, la personne constitue le noyau social et exerce d'elle-même son devoir d'alerte et d'innovation).
  • Le tissu des décideurs économiques est, lui aussi, dans le giron de l'État :
    •  À travers les grandes écoles publiques et leurs anciens élèves organisés en grands corps, l'État maîtrise le réseau le plus puissant de France.
    •  L'État est à l'initiative et aux commandes des grands projets, mais aussi de la plupart des grandes entreprises.

>> L'État détient la maîtrise de tous les leviers de commande.

Le gouvernement impuissant, la France révolutionnaire

Cette société hyper concentrée n'offre pas de prise au questionnement paisible. Dans cette culture du dogme, faire valoir une idée revient à contester. Lorsque les obstacles aux évolutions s'avèrent insurmontables et que les erreurs du chef omnipotent s'accumulent, les révolutions adviennent :

  • 16 changements constitutionnels se sont enchaînés depuis 1789. Le système politique qui ne sait pas entendre les signaux d'alerte finit par commettre des erreurs et persévérer, ce qui aboutit à son renversement.
  • Prendre le pouvoir dans la sérénité n'est pas possible au sein d'un parti politique, soumis à un chef qui l'anime dans la perspective de sa carrière personnelle. En France, la durée de vie d'un parti politique dépend généralement de celle de son créateur et chef. EM n'est que le dernier exemple à date.
  • La logique conflictuelle (manifestations, grèves, séquestrations...) l'emporte entre les partenaires sociaux. Face au double fonctionnement, des sphères politique et économique, les acteurs du monde économique et ceux du système social se placent sur des logiques à caractère idéologiques plus que pragmatiques.
  • N'ayant pas su inventer son Commonwealth, la France a vu l'histoire de ses colonies se terminer par des ruptures, à l'image des guerres d'Indochine ou d'Algérie, et par la substitution de la pensée française par d'autres dogmes.

>> La société française ne permet pas l'expression sereine des différences. Aussi, en France, être entendu suppose non pas de proposer ses idées, ni de s'opposer aux décisions, ni même de s'opposer aux décideurs, mais de s'opposer au système lui-même. Aussi, les acteurs qui ont l'énergie nécessaire peuvent décider de rompre avec la France pour la quitter ou la bousculer. Voilà pourquoi la culture française construit des avancées par ruptures révolutionnaires plus que par réformes de l'intérieur.

Un débat inexistant sur les valeurs (le pourquoi ?), 
autorisé seulement sur les opérations (le comment ?)

L'occupation des deux sièges du spirituel et du temporel par un seul encadre le dialogue au point de le rendre inopérant en temps de crise, lorsque le grain à moudre manque :

  • Les grands repères communs ne sont pas débattus entre toutes les composantes du corps social. Aucun vrai dialogue n'a lieu sur les grands enjeux, alors même que les Français veulent tout penser, et penser à tout. Chacun pense donc ses propres valeurs en dehors du collectif, jusques et y compris malgré lui. Il s'en suit des grilles de priorités personnelles qui s'alignent sur les intérêts corporatistes, voire particuliers. Or, si le partage des valeurs fondamentales n'est pas organisé, les grandes orientations ne peuvent tout simplement pas l'être non plus.
  • La vision restant toujours affirmée par le seul chef, l'échange entre les acteurs ne porte le plus souvent que sur des décisions opérationnelles. Or, des arbitrages plus techniques nécessitent plus de souplesse et de réactivité pour coller aux particularités des situations locales. Chaque décision centrale peut ainsi contenir des courts-circuits intellectuels et générer autant de mésententes et de désaccords à mesure que l'on entre dans le détail.

Un changement d'ère doit engendrer un changement de système

Dans la société mondiale transpercée par la circulation instantanée des informations, des capitaux et des personnes, les autorités sous toutes leurs formes perdent progressivement leur légitimité. Et l'Etat-providence français n'y échappe pas : il est en perte de maîtrise du destin national du fait d'un défaut d'écoute des personnes, des faits, des idées et des croyances.

 Deux scénarios émergent pour la France : soit elle se laisse déborder par le mouvement du monde en se repliant sur le souvenir de sa gloire passée, soit elle se donne les moyens d'inventer un nouveau modèle de démocratie, de s'extraire des contingences et de réinventer un contrat social sur la base d'un projet partagé et d'une culture de dialogue.

 

ASSUMER L'ÉTHOS FRANÇAIS

Passer du pensé centralisé et théorique au penser ensemble et en pratique.

L'identité française : 

  • L'éthos de la France : le règne du pensé, déconnecté des réalités au point d'entrer parfois dans le dogme.
  • L'origine : le sacre du Roi, qui perdure dans l'onction du suffrage universel et met les chefs à distance.
  • Le symptôme : les révolutions de système, préalables aux évolutions de la pensée.
  • L'accomplissement : généraliser une démarche maïeutique de dialogue pour développer une meilleure prise de conscience des enjeux et une meilleure prise en main des solutions opérationnelles.

Depuis son apogée au XVIIIe siècle, la France cherche sa voie pour enrayer son déclin. Il est temps d'inventer une gouvernance nouvelle pour impliquer tous les acteurs dans la maîtrise de leur destin collectif.

 

La promesse du triptyque français « Liberté, Égalité, Fraternité »a besoin, pour se réaliser, de s'appuyer sur un mode opératoire qui puisse intégrer toutes les composantes de la société. Il faut repenser et ré-outiller la gouvernance pour impliquer chaque citoyen dans l'invention de projets générateurs de performance à long terme. Ce faisant, la France sera l'inventeur d'une nouvelle génération de systèmes démocratiques que chaque pays et chaque entreprise pourra s'approprier qui leur permettra de construire un nouvel étage de leur vivre ensembleet de leur réussir ensemble.

Voilà le projet à la hauteur de l'éthos français ! Carcomme l'écrivait Charles de Gaulle : « La France n'est réellement elle-même qu'au premier rang ; seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même. »

NOTES

(*) Afin d'éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l'Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livre les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s'appuyant sur des cas pratiques et sur l'actualité.

L'Odissée, l'Organisation du Dialogue et de l'Intelligence Sociale dans la Société Et l'Entreprise, est un organisme bicéphale composé d'un centre de conseil et recherche (l'Odis) et d'une ONG reconnue d'Intérêt général (Les Amis de l'Odissée) dont l'objet consiste à "Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde".

Depuis 1990, l'Odissée conduit l'étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l'Entreprise et la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l'a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d'auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l'intérieur des entreprises.

Vidéo Youtube Jean-François Chantaraud

Chronique du 26/04/2019 La Tribune

 

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