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Le véritable enjeu de l'immigration

Chronique 56 - La France, l'Islam et le débat public L’immigration est-elle une chance ou un risque pour la France ? Tout dépend de notre capacité à équilibrer l’ouverture de la société aux acteurs nouveaux et idées nouvelles.

Les niveaux d’ouverture interne et externe fonctionnent comme des vases communicants : plus un organisme parvient à faire respecter ses règles par ses membres, plus il peut s’ouvrir à de nouveaux acteurs ; à l’inverse, moins il gère leurs écarts de comportement, plus il doit se fermer.

La gestion aléatoire de la France : le système D


Le législateur français ne produit pas plus de lois que ses homologues des grandes démocraties. Dans sa volonté de construire le Juste, il tente de prendre en compte la variété des cas particuliers. Aussi, les textes français contiennent-ils souvent jusqu’à dix fois plus d’articles. Les citoyens, à commencer par les Préfets censés faire respecter toute la Loi, se trouvent noyés sous la complexité. D’où des réglementations souvent mal applicables et donc mal appliquées. Ainsi, l’État est fondé à réécrire des textes inadaptés. Mais il rajoute alors des couches à la lourdeur administrative. Les citoyens astucieux s’insinuent dans les inévitables interstices : le système D est un sport national. Chacun n’en fait qu’à sa tête, à tous les étages de société, jusqu’au sommet de la société, où le chef de l’État peut légiférer (article 49-3) et même déclarer la guerre (article 35) sans l’accord du Parlement. Ceci, alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont elle se réclame stipule pourtant l’inverse :

  • « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation » (article 6),
  • « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » (article 16).

La législation française ne relève pas toujours de l’esprit démocratique sur lequel elle est sensée reposer. Ainsi, la France éprouve des difficultés à faire respecter ses propres règlementations par ses propres citoyens.

Ce processus de production de Lois inefficaces se retrouve dans tous les domaines, y compris dans la façon dont l’État gère l’immigration. Des limites sont décidées, mais ne sont pas respectées officiellement. Ainsi par exemple, 95% des demandeurs de droit d’asile déboutés restent en France (rapport 2013 de l’Igas) ! Les chiffres officiels crèvent systématiquement les plafonds. De plus, les chiffres officieux qui circulent vont encore au-delà.

L’équilibre de l’Islam : ouvert à l’externe, fermé à l’interne

Il est encore plus facile d’entrer dans l’Islam. Tout le monde peut entrer. Pour devenir musulman, il suffit de prononcer la chahada. Avec cette simple phrase de dix-sept mots, le converti se soumet à Allah. Si le premier pas du nouveau fidèle est facile, la suite est en revanche bien plus exigeante, car il faut dès lors se conformer à l’ensemble de ses principes de vie quotidienne, sans jamais défaillir, ni les contester. La critique de la raison islamique de l’humaniste Mohammed Arkoun n’a pas encore triomphé au sein de la communauté musulmane.

Son prosélytisme permet à la religion musulmane de multiplier les adeptes. Son organisation intérieure lui permet d’ancrer le partage de ses valeurs. Ouverte à l’externe, fermée à l’interne : l’Islam a trouvé son équilibre qui lui permet de se maintenir dans les nombreux territoires où il est installé depuis des siècles.

Mais ce mode d’organisation constitue un frein intrinsèque à la combinaison avec d’autres système socio-politiques. Certes, quelles que soient les religions, la cohabitation de croyances est souvent douloureuse, de tout temps et partout dans le monde. Le pari de la laïcité comme garantie de liberté de penser et de croire n’a jamais été gagné une fois pour toutes.

La montée du nationalisme dans le débat public

Cette difficulté de fusionner l’Islam avec la République est dénoncée par une partie des observateurs de la société française. La proposition de certains consiste à fermer les frontières. Or, l’État a déjà décidé à plusieurs reprises de limiter l’immigration…sans jamais y parvenir en pratique. Avec la maîtrise française du système D l’efficacité des décrets est toujours limités, sur ce sujet comme sur les autres. Ne nous leurrons pas : la France ne sait pas appliquer ses propres décisions. Elle n’y parviendra pas plus si de nouveaux décideurs prennent la même décision. La visée nationaliste diagnostique un vrai problème, mais elle ne porte pas de solutions applicables, donc réalistes.

Reconstruire l’équilibre français


Le destin d’une nation n’est pas le produit de la volonté d’un acteur seul. Il ne faut pas confondre les petites histoires des personnages avec la grande histoire du pacte social des peuples. C’est la conjonction des initiatives, des énergies et des talents pour un idéal qui fait la différence : l’accomplissement d’un grand destin collectif dépend de l’implication du plus grand nombre. L’idée que la seule élection présidentielle produirait la rencontre entre une personne et un peuple n’est
qu’une illusion simpliste. Pour que la combinaison produise une dynamique puissante et durable, une immense entente sociale doit être murie avec lucidité, intelligence et responsabilité intellectuelle. Alors, il devient possible d’articuler un projet innovant, défini, porté et assumé par le corps social dans son ensemble. Alors seulement le collectif devient une société dans laquelle chaque composante connait sa destination, approuve son chemin et endosse ses contraintes et agit selon ses moyens.

Pour l’immigration comme pour l’Emploi, l’Éducation Nationale, la Santé ou les Finances publiques (…), l’enjeu est d’organiser d’abord la participation des citoyens à la recherche de solutions. Les diagnostics et les projets s’en trouvent mieux posés. Plus encore, ils sont alors mieux compris et mieux partagés… et davantage encore : chacun peut alors prendre sa part de responsabilité dans leur mise en œuvre !

Sur ce sujet comme pour les autres, c’est aux Français de choisir, autrement que par un vote pour leur chef d’État, mais par un vrai débat pour chercher l’intérêt général. Non pas une fois, lors d’une élection, mais par l’observation continue du terrain afin de réaménager les décisions si nécessaire. Où sont les décideurs et candidats qui ne se contentent pas d’affirmer une simple posture de principe, mais proposent plutôt de donner enfin au citoyen sa vraie place, dans tous les territoires et au sein de toutes les organisations ? Cela suppose de passer de la maîtrise du discours à la maîtrise de la méthode, la maîtrise pratique de l’organisation d’un vrai dialogue.

Il s’agit pour les dirigeants d’endosser un nouveau rôle : avant de défendre un diagnostic et une solution, il leur faut devenir des organisateurs de dialogue et d’intelligence sociale.

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Chronique du 13/10/2021 La Tribune

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